Enfance

L'enfant ne peut pas attendre, son nom est AUJOURD'HUI. G. Mistral

vendredi 21 mai 2010

Mine de rien... Mine de crayon

Je me suis décidée à appuyer sur la sonnette. Au bout d' une minute, un petit bonhomme rond en salopette est venu m'ouvrir. On s'est installé dans son salon sur un sofa défoncé. A la télé passait un feuilleton à l'eau de rose et le volume était très bas. "c'est ma série préférée" avoua le petit homme en me donnant un soda que je n'avais pas demandé.

Je traversais alors une période difficile. Une amie m'avait chaudement recommandé cet homme qui, à l'entendre, l'avait sauvée. Il réalisait des miracles sans se lever de son fauteuil, rien qu'en discutant avec vous et en livrant ses secrets sous forme de paraboles. J'étais fort intriguée mais prête à partir si la conversation prenait un tour trop bizarre. Ce qui ne manqua pas d' arriver... Et pourtant je suis restée. Je m'en félicite car ces quelques minutes ont changé ma vie.

"je ne veux plus avoir mal, commençai-je. Plus jamais."

"quel bel espoir en effet que de ne plus jamais avoir à souffrir, mais ne crois-tu pas que tu en demandes beaucoup ?" me répondit le petit homme en plissant ses yeux malicieux.

" on m a dit que vous faisiez des miracles. Alors prouvez-le moi. Je vous croirai dès l'instant où mon dernier souci se sera envolé. Sinon, au revoir... Je n'ai plus rien à vous dire" fis-je sur un ton un peu plus dur que je ne l'aurais voulu.

"un instant gente dame. J'ai ce qu'il te faut. J'ai même mieux que ce que tu demandes : je vais t'apprendre à avoir mal"

Et effectivement, j'ai eu mal. Monsieur Jean Loup - c'était son nom - a mis le doigt sur toutes les parties de mon passé qui me faisaient souffrir : je lui ai tout raconté, tous ces souvenirs qu'on croit trop pénibles à dire mais qui ne demandent qu'à sortir.

La moindre anecdote était pour lui l'occasion d' en percevoir bien plus, de dérouler l écheveau de mes problèmes et de tailler dans le vif de ma douleur. Au bout de 2 heures de ce pénible accouchement, il a tout de même consenti à me livrer la solution.

"imagine-toi comme un crayon neuf, me dit-il. Les premières fois où tu écris, ta mine est encore pointue et ne demande qu'à percer le papier. Les mots se tracent à toute allure et l'écriture est facile. Presqu'un plaisir ! Mais plus tu écris et plus la mine s'émousse. Bientôt, les pleins et les déliés ne sont plus aussi beaux que tu les voudrais.

Tu es usé. Il faut te tailler, te redonner ta forme initiale. Mais ceci ne peut pas aller sans douleur. Comme le crayon qui passe entre les lames du taille-crayon et y laisse quelques copeaux, tu dois t'attendre à perdre quelques vieilles peaux inutiles, des scories qui ont recouvert le ciel de ta conscience et ont terni ta joie de vivre. Tu dois apprendre à souffrir pour retrouver ta forme initiale.

Jean Loup a donc fait un miracle. Encore un. Il ne m'avait pas promis un avenir sans douleur dans une boule de cristal... Mais lorsque je suis sortie de chez lui, j ai eu l'impression de savourer l'existence pour la première fois.

Nous sommes tous comme ce crayon de papier qui, a peine a-t-il commencé a écrire, est voué a l'usure et se raccourcit jusqu'à n'être qu'un petit morceau de bois. Pourtant, il doit conserver sa forme initiale pour continuer les jolis pleins et déliés sur notre page blanche. Les instants difficiles et les douleurs passagères sont alors comparables au taille-crayon qui redonne vie et efficacité au crayon. Rien n'est inutile, pas même la souffrance si nous savons l'exploiter et en tirer tous les enseignements.

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