Enfance

L'enfant ne peut pas attendre, son nom est AUJOURD'HUI. G. Mistral

dimanche 21 août 2011

La buveuse de larmes




Certaines paroles sont autant de facettes d'un diamant savamment ciselé, 
Dont la faculté est de réfracter la lumière dans sa dureté. 
Leur portée touche l'âme, au coeur de son absolu sacré.


La buveuse de larmes en témoigne


"On l'appelle la buveuse de larmes. A la croisée des âges elle se tient, sans ombre, si nue que nul ne la voit. Pourtant, nul ne l'ignore : elle est l'instant d'effroi. Seule l'ombre est sans ombre.


Du temps, elle est la lame. Dans les commencements comme les fins dernières, elle se dresse immense, souveraine, si large déployée que la lumière y sombre... Mais de l'instant, elle est l'incise. La fêlure. L'éclat. Et la lèvre des jours est cette incise là : parole délivrée, enfin, de la parole.


Seule. Simple. Dénuée. Dans le souffle de l'aube ou le frisson du soir, dans la fleur, l'or, le jour, dans tout ce qui affleure, elle est ce qui n'est pas.

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On l'appelle parfois la buveuse de larmes, mais la plupart du temps on ne l'appelle pas, car son nom rend muet quiconque le prononce. Et pourtant tous les mots autour d'elle tournoient
comme des oiseaux ivres de n'être que des mots, des ailes, des élans, des goélands de verbe s'inventant eux-mêmes une nouvelle fois, perruches affolées par l'écho de leurs cris, anges émerveillés, princesses affolantes.

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Au creux du verbe est un étang où se baignent des femmes cygnes.


C'est autour de ce nom que l'on ne nomme pas que tous les mots gravitent, chacun tenant de lui ce long frémissement qui fait le verbe verbe, la femme femme, et le cygne, ce léger froissement de neige, là bas, au sein du jour.


Par lui, le jour est jour. Par lui, la nuit est nuit. Mais le jour dans le jour n'est déjà plus le jour.
Il est un autre jour. Et de ce autre jour chaque jour est naissant, toujours, au sein du jour.


Ainsi va le verbe, à jamais étranger à lui-même.


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Ardente est la parole aux confins du désert. Etant ce qui n'est pas, elle ouvre ce qui est à ce qui pourrait être. Dans le regard dormant des choses. Dans la nue patience des pierres. Dans l'étreinte. Dans le frémir des eaux. Elle ouvre, et c'est ouvert.
Alors, parfois, la pluie s'élève...

Ainsi va le monde, par delà le monde, une nouvelle fois. Seul le ciel est sans fond.


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C'est elle, le secret. L'envers des mots. L'absence. La nuit du coeur des choses. Celle que chacun fuit sans savoir qu'il la cherche.

Mais au sein du secret est un plus grand secret : c'est ce chien qui aboie. Cet homme qui défaille. Cette fille affolée par le sang qui lui coule. Ce bouquet là, jeté, pétales frissonnant à la brise du soir. Le parfum oublié de cette chevelure, au visage effacé...


De par ce qui n'est pas, miracle ce qui est.


Voilà le grand secret que, farouche, elle veille, elle, l'ombre de tout : la foison des instants crépitants comme flammes, hors de rien jaillissants, uniques, inespérés.


De pouvoir n'être pas, être est autrement qu'être. C'est de ce tranchant là que saigne la parole.


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Prière délivrée de toute délivrance,
Toute entière la nuit en elle contenue,
Pour l'offrande des jours, abandonnées, immense,
La nuit devenue nuit, toute nuit, devenue.


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Ardente est la parole aux confins d'elle même. Coulée de foudre jusqu'aux nervures, éclat de sel et de solitude, elle se tait, veillant infiniment sur la source des pleurs - cela qui toujours manque, au coeur même de tout - qui fait la profondeur - et le désir soudain d'un grand battement d'ailes.


Elle ne dit pas : s'exiler de soi. Brûler les vaisseaux. Inciser le temps. Excrire le mal. Briser le miroir.
Elle ne dit pas : offrir son souffle aux oiseaux. Saisir le ciel d'un seul geste. Mettre la nuit dans le jour.


Elle ne dit pas : tout ce que les mots cherchent se trouve entre les mots. Parler est à jamais...
Elle ne dit pas, transpercée de silence...


Ainsi va le monde, par delà le monde, une nouvelle fois.
Pour toujours, cette fois.
Comme toujours."


Dominique Bertrand (11 août 2011)
Merci


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